Inutile de vous le redire, cette semaine, il n’y aura encore pas de Civil War. Rien, le désert, nada !
Je suis extenuée, prête à jeter le torchon, rendre mon tablier et prendre la porte. Plus de vie de famille, je ne sais même plus comment s’appelle Monsieur 3xrien, je perds mes Nains à l’arrêt du bus, j’ai cassé la plupart de mes ongles, j’envoie des mots doux à la maîtresse de Petit Nain pour lui expliquer pourquoi le vase grec en papier mâché n’est toujours pas sec et ça fait une semaine que je n’ai pas cuisiné un repas décent pour des Nains délaissés plusieurs soirées par semaine pour aller habiller des acteurs capricieux. Pas tous heureusement ! Spectacle dans 3 semaines, le directeur se ronge les ongles, le script n’est toujours pas maîtrisé, ca court dans tous les sens et certains ont déjà manqué 2 semaines de répétition. Y’a de l’eau dans le gaz. Mais nul doute, le show must go on !
Tout d’abord, laissez-moi vous expliquer le principe de la pantomime britonne. C’est un spectacle musical dont les règles traditionnelles sont multiples, amusantes et surprenantes.
Le caractère masculin principal est joué par une femme et la « Dame » par un homme. Il y a souvent une scène où les accessoires volent dans le public ou encore un striptease amusant.
On sollicite le public pour encourager les « gentils » et huer les « méchants ». On siffle, on crie « attention, il est derrière toi » ou encore « non, il ne l’a pas volé ». Bref, c’est en général le boxon dans la salle, du vrai Guignol. La pantomime britonne se joue traditionnellement aux alentours de Noël et ça, j’en suis à présent certaine, dans le but d’empêcher la costumière de préparer ses cadeaux de Noël et de la forcer à mettre les bouchées doubles ensuite.
Parmi les acteurs que j’habille, il y a de drôles de personnages. A croire qu’ils prennent leur rôle très au sérieux et ont du mal à s’en défaire !
Vous avez « la Chieuse », celle qui n’est jamais contente quoi que vous lui proposiez. Vous avez passé toute la journée sur son déguisement costume, vous avez pris votre douche à 2 heures de l’après-midi, déjeuné à 3 heures et plaqué les Nains en pleins devoirs pour entendre : « c’est trop grand, c’est trop long, c’est trop terne, c’est trop serré, c’est trop large, c’est trop ci, c’est trop ca. » Inutile de vous dire que le « merci » est un terme qui lui est totalement étranger. De l’ourdou peut-être ! Elle vous regarde d’un air dédaigneux et vous explique que, non, elle refuse d’essayer la robe de mariée car de toute façon elle ne jouera pas la scène finale du mariage. Sa perruque est trop courte, elle veut des nattes. Quant aux fleurs artificielles de la couronne, elle puent ! La première fois, j’ai eu envie de lui envoyer ma main dans la figure, de la coller contre le mur du château de Dracula mais comme il n’était pas terminé, j’ai eu peur d’abîmer la peinture. La deuxième fois – oui, la chieuse est une récidiviste – je lui ai jeté sa couronne sur les genoux et je suis partie la tête haute, l’air digne. Qu’elle joue nue !
Et puis, il y a le « Je suis beau, je suis beau, je suis tellement beau ». Par simplicité, je vais le nommer « Robert le Magnifique ». Il aime son costume, sa chemise, son jabot. Tout est beau. Il parade dans la salle, monte sur scène dans une envolée de cape draculienne, il regrette l’absence de miroir et passe son temps à s’admirer dans le reflet des fenêtres. Robert le Magnifique est satisfait. Le costume est beau, il est beau, son jeu sera donc parfait. Robert le Magnifique n’a que faire des répétitions, il veut rentrer chez lui et poser devant la glace en déclamant son texte. Espérons que le soir du spectacle, il ne se prenne pas les pieds dans sa cape !
Et encore " l'Alcolo du shopping " : celle-là est tellement facile que si je n’avais que des filles comme elle à habiller, je serais déjà en vacances, les pieds dans le sable, les orteils en l’air. Elle a tout compris. Elle prévoit d’aller chez une amie couturière pour se faire tailler sa jupette, va faire ses courses dans le magasin le plus cher de KL et met toutes ses dépenses sur notes de frais. Moi, ça me va du moment que je n’ai pas à les justifier, ces notes de frais !
Vous avez aussi le « Tout va Bien quoi qu’il arrive », celui qui, quoi que vous lui suggériez, se déshabille sans broncher devant la climature qui souffle un vent de la Troïka, et qui sans se plaindre, vous dit que tout va bien et qu’il peut marcher alors que visiblement le fond de culotte du pantalon dans lequel vous l’avez forcé à rentrer lui arrive au milieu des genoux. Celui-là me brise le cœur et c’est pour lui que je fais plusieurs voyages derrière la scène pour lui trouver un costume à sa taille. Celui-là, vous le voyez bien tout faire pour plaire, vous avez des visions de petits repas mijotés avec amour (hors répétitions bien entendu), de portes de voiture ouvertes, de sacs de courses portés. Il respire la gentillesse, la bonté même. Et vous en faites des provisions de cette gentillesse, surtout quand il s’agit d’aller ensuite voir la chieuse pour lui faire essayer un chemisier aux manches trop longues.
N’oublions pas la « Moi Moi Moi ». Elle a un point commun avec Robert mais elle va plus loin que lui. Elle s’aime, c’est certain, et n’hésite pas à faire changer le script pour qu’il la mette le plus en valeur. Son costume doit être sexy, extravagant, surpasser celui des autres. Elle vous accapare, s’approprie vos services, vous devenez son assistante personnelle. Oublié Robert, Tout va Bien quoi qu’il arrive, la Chieuse et autres, vous êtes son jouet. J’en ai rencontré souvent des comme elles dans ma carrière professionnelle et elle ne me fait pas peur. Je souris, je reste zen, je la flatte, elle est contente. Et je ricane derrière son dos !
Et pour finir cette liste non exhaustive, « L’Hésitante », celle qui ne sait pas, qui peut-être que, mais bon pourquoi pas, et puis si… Bref, incapable de vous dire si oui ou non elle est à l’aise dans son pantalon ou s’il faudrait peut-être reprendre l’ourlet. L’Hésitante ne connaît toujours pas son texte, ne le connaitrera peut-être jamais ou peut-être que si, vous le saurez bien le soir du spectacle. A celle-là, vous lui collez n’importe quoi et vous partez vite en courant avant qu’elle ne vous fasse perdre de précieuses minutes en grattage de méninges.
Bon, n’oublions pas le reste de la troupe qui s’agite et qui vibre et qui en fin de compte vous fait passer un très bon moment pendant les répétitions même si vous n’avez qu’une envie : retrouver votre lit !
Allez, je vais finir de sécher mon vase grec au sèche-cheveux !