Avez-vous déjà essayé d’extraire le plastique à l’intérieur de la capsule métallique d’une bouteille de bière ? C’est une tâche horrible qui arrache les ongles. Mais c’est ce que fait Abdul, un des adolescents d’un bidonville de Bombay, dont la vie est racontée dans le livre de Katherine Boo, Behind the Beautiful Forevers : Life, Death and Hope in a Bombay Undercity, et bien d’autres tâches tout aussi pénibles, des heures durant, tous les jours, à trier des déchets jusqu’à ce qu’il ait de quoi gagner quelques roupies. Il a onze personnes à charge.
Katherine Boo, journaliste américaine, a passé quatre années à Annawadi, un bidonville proche du nouvel aéroport rutilant de Bombay, et à travers les yeux d'Abdul, qui rêve de justice et d'un lopin de terre, de Manju, qui fonde son avenir sur la lecture de Mrs Dalloway, et de Fatima l'unijambiste, indicible figure de l'horreur, elle nous rappelle ce qu'être misérable veut dire.
Annawadi est une “sous-ville” de quelque 3 000 âmes entassées dans quelque 300 masures étayées de ruban adhésif et de corde, que domine la silhouette des palaces des environs de l'aéroport, sur une bande de terre marécageuse. Ici, ceux qui survivent trient les détritus des riches de Bombay, se nourrissent de rats frits et côtoient quotidiennement suicide, corruption et alcoolisme.
Mais ce récit ne dérive pas vers la caricature, l'auteure ne tombant jamais dans la leçon de morale. Bien plus, elle restitue de manière inoubliable ce lieu grouillant de vie en tentant de répondre à la question de savoir « pourquoi les pauvres supportent la misère ? »
Le récit de cette expérience se lit presque comme un roman, un mélange dramatique d’histoires qui parle de brutalité policière, de la corruption des fonctionnaires, de la violence soudaine et choquante, et toujours la sueur persistante et la puanteur de la survie. Croyez-moi, je ne regarderai plus jamais de la même façon les barquettes en aluminium de repas d’avion maintenant que je sais que ce sont des trophées, pour lesquels des gardiens de l’aéroport peuvent donner une raclée à un éboueur.
Le travail de Katherine Boo a remporté le National Book Award en 2012 dans la catégorie non-fiction. C’est une journaliste de croisade qui a été également amenée à passer en revue un système bureaucratique cauchemardesque pour sourcer des milliers de documents attestant des innombrables misères quotidiennes d’Annawadi et des petites tragédies oubliées. Son passé montre également le même engagement dans sa carrière pour enquêter sur la pauvreté, même dans son propre riche pays.
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