Médaillé !
Non je ne vais pas vous parler du T-shirt de Moyen Nain après le repas mais de ma nouvelle lecture. Quoique, après réflexion, le T-shirt de Moyen Nain peut à la rigueur passer pour de la lecture, celle du menu !
Non, j’aimerais vous parler du roman de Kate Grenville “Le Fleuve secret”, celui a gagné de nombreux prix de littérature.
Imaginez Londres en 1793 : les docks, la pauvreté, les cris des marchands ambulants, le bruit constant, l’insalubrité, les bousculades, le racolage, la misère. Surtout la misère dans cette Angleterre pourtant en plein boom économique qui fait la fortune de quelques-uns et le désespoir de tant d’autres.
Pour William Thornhill, batelier sur la Tamise, cette vie dans les rues pouilleuses de la capitale constitue son quotidien. Le besoin d’argent, si pressant, le pousse à des petits larcins sur les cargaisons à transborder. Mais une nuit, alors qu’il tente de voler une cargaison de bois précieux venus du Brésil, il se fait prendre, sur dénonciation. Après un jugement à l'emporte-pièce, il est condamné à mort par pendaison.
Grâce à l'acharnement et la volonté de fer de sa femme, cette peine est commuée en déportation à perpétuité en Nouvelle Galle. Commence alors une vie rude dans une Australie à peine naissante. À force de travail, de débrouillardise, et de volonté, Thornhill et les siens vont s'installer dans les terres sur les bords du fleuve secret, le Hawkesbury. Et le rêve devient enfin réalité: amnistié, Will devient propriétaire d'un bout de terrain où il peut s’installer. Mais c'est sans compter sur la présence mystérieuse des indigènes aux coutumes si diamétralement différentes de celles de ces anglais exilés. Comment ces deux mondes peuvent-ils cohabiter ?
Tout au long de sa vie, Will est confronté à des choix, à chaque carrefour de sa vie : voler pour survivre ou rester honnête et mourir, être banni ou pendu, rester pauvre à Sydney ou tout quitter pour s’installer loin de la ville et avoir une chance de devenir quelqu’un, accepter les indigènes ou les anéantir.
Le Fleuve Secret, c'est le temps des premiers colons, des conquêtes territoriales, de la chasse aux indigènes. Et au coeur de ce contexte historique épineux, Kate Grenville traduit avec finesse la peur de l'autre et celle du lendemain, la nostalgie dans l'exil, l'envie presque vitale d'avoir un coin de terre, juste à soi et parvient avec justesse à dresser un panorama de cette période méconnue de l'histoire de l'Australie, éclairant sans retenue la brutalité des conflits culturels autant que l'ambivalence humaine.
Si l’Angleterre et l’Australie n’ont pas grand-chose en commun en terme de paysage, l’attitude du colon blanc semble être, elle, tout à fait universelle. Une invasion tragique qui brise et construit, qui saccage et embellit : une lutte à mort entre la technologie et l’entêtement des uns, le maintien des traditions et des habitudes pour les autres.
J’ai trouvé ce roman magnifique et bien écrit. L’auteur parvient avec art et beaucoup d’intelligence (pour ne pas parler du travail de recherche) à rendre la pénibilité de la vie des classes laborieuses de Londres, puis à se glisser dans celui de ces forçats devenus maîtres de ce nouveau continent et brosse une fresque aux couleurs sombres et lumineuses d’un temps où il fallait survivre. Confrontés à la violence sociale européenne, puis à la violence coloniale, au racisme, à la peur, à l’incompréhension, les personnages de ce livre naviguent dans les eaux terribles d’une histoire où l’héroïsme n’a pas sa place. Il faut survivre à n’importe quel prix !